Voilà plusieurs semaines que j’avais perdu l’inspiration, que les mots ne venaient plus à moi, que ma plume semblait desséchée, reléguée au second plan pour cause d’activités quotidiennes. Et il a fallu que je lise ton livre, Natascha, pour avoir de nouveau envie d’écrire. Comment lire ton histoire et ne pas témoigner de ce que l’on a ressenti ? comment rester insensible au récit d’une jeune femme qui est devenue adulte à la lumière d’une ampoule aveuglante dans une cave et qui s’est construite dans la violence et l’humiliation ? Tu t’appelles donc Natascha Kampusch, tu as 10 le 2 mars 1998. Tu es une petite fille à priori comme les autres, un peu mal dans ta peau, te sentant incomprise de tes parents qui se disputent souvent et qui se séparent d’ailleurs. Tes dix premières années sont jalonnées de joies, parfois courtes, et de déceptions, parfois nombreuses. Mais, tu es une petite fille intelligente et pleine de vie. Rien ne te prédisposait à te faire enlever. Tout s’est passé tellement vite : une camionnette garée sur le chemin de ton école, un regard échangé avec un inconnu qui te pousse violemment dans le véhicule, qui te fait croire l’espace d’un instant que tu vas être remis à des ravisseurs et qui finit par t’emmener chez lui où tu vas découvrir ton nouvel espace de vie : une cave de quelques mètres carrés avec le nécessaire, disons le strict nécessaire pour vivre…pardon pour survivre. Tu as 10 ans à l’époque et tu es en droit de te poser une question, que l’on se pose aussi à la lecture de ton livre : pourquoi ? La réponse tu ne l’aurais jamais, nous non plus finalement et on le regrette car cela nous aiderait à mieux comprendre les raisons qui ont poussé cet homme, Wolfgang Priklopil a séquestré une petite fille pendant tant d’années. Les premiers mois furent difficiles mais compensés par une certaine attention de ton ravisseur qui prenait de t’apporter ce que tu voulais pour que tu ne manques de rien. Ton récit est troublant car tu es, à l’époque, une petite fille qui continue de vivre avec ses rêves, ses attentes et ses moments de joie, parfois simples. On se demande Natascha comment tu as pu survivre à ça, toi qui n’était même pas une adolescente. Comment as-tu pu survivre ensuite à cet homme qui au fil des années va te considérer comme une esclave et qui a fait de toi un souffre-douleur ? Le passage à l’adolescence est une période très difficile, parfois traumatisante et on se demande comment tu as résisté, comment tu as su trouver cette force en toi pour chaque jour te dire que tu sortirais peut-être de ce réduit où il n’y avait qu’une lumière artificielle durant quelques heures dans la journée, le tout accompagné du ronronnement sans fin d’un ventilateur censé te distiller un peu d’air. Ton livre est un paradoxe à lui tout seul car tout d’abord tu fais preuve d’une force incroyable, ce désir de continuer à vivre, peut-être pour prouver que tu es capable, pour lui prouver, et puis cette lassitude et cet abandon parfois en te disant que tu ne pourras pas t’échapper. Tu as des occasions qui ne manquent pas, on sent qu’au fil des années, à partir de ta majorité, tu as cette envie de te détacher de ton bourreau, de celui qui tu dois appeler « maitre », qui te bat en permanence, t’humilies et t’infliges les pires privations (celles de la nourriture, de la lumière et en premier lieu la liberté bien entendu). On a du mal à s’imaginer ce qui peut se passer dans ta tête ce jour du mois d’août 2006, lorsque tu profites d’un moment d’inattention, comme si ton cerveau t’alertait sur la possibilité d’une autre vie, toi qui étais pourtant résignée et incapable de te sauver ou d’alerter quelqu’un lors de tes sorties à l’extérieur. Mais, ce jour là, tu as trouvé la force. Tu t’es réfugiée chez une voisine, la police est venue te chercher et tu as pu retrouver ta famille. Ils avaient quitté une petite fille, pensant ne jamais la revoir et ils retrouvent une femme, couverte de bleus, amaigrie, perdue dans un monde qui devait être le tien comme toutes les petites filles de ton âge mais dont tu as été privée pendant 8 longues années. 3096 jours comme le titre de ton livre, 3096 jours d’un calvaire qui t’auras endurci c’est certain mais qui t’auras marqué à jamais c’est une évidence. Un regard lucide, une volonté de fer, une leçon de vie, voilà ce que j’ai ressenti Natascha à la lecture de ton livre et, grâce à toi, on savoure encore plus un bien précieux dont on a tendance parfois à oublier l’utilité : la liberté…